J.A. Baettig

J.A. Baettig

Le Val des Fées - extrait 2

Niah avait le visage fermé, tandis que Luel semblait extrêmement contrariée.

—    Quoi ?

—    Rien, répondit Niah. Passe derrière.

—    Ouais, répondis-je gagné par leur morosité. Je peux savoir ce qui ne va pas ? Ne me dis pas, fis-je en me tournant vers Luel, que toi qui viens de New York, tu ne rêvais pas d’un après-midi shopping après plus de trois semaines à jouer les Laura Ingalls dans la petite maison dans la prairie.

—    C’est pas ça, maugréa-t-elle en bouclant sa ceinture.

—    C’est quoi alors ?

—    Rien.

J’abandonnai. Des rabat-joie. Il n’y avait pas d’autres mots. Je me laissai tomber contre le dossier et attendis que notre chauffeur veuille bien démarrer. Finalement cela aussi tint du miracle.

Il lui fallut tout d’abord plus de cinq minutes pour programmer son stupide GPS. Personnellement, j’étais de l’avis de Grand-père Sam, rien ne valait une bonne vieille carte routière, de celle qu’on n’arrive jamais à replier correctement. Finalement, après avoir consciencieusement programmé son truc, Niah se rendit compte qu’il n’avait aucun endroit pour le poser. Il demanda alors à Luel si elle voulait bien le tenir. Celle-ci lui jeta un regard noir avant de le lui arracher des mains. Bonjour l’ambiance. Puis après avoir réglé le GPS, vint le moment de régler le véhicule. Niah commença par un petit ballet du siège conducteur. En avant, en arrière, en avant… pour finalement se retrouver coincé, à trois centimètres du volant, le dos droit comme un i, les genoux sous le menton.

Le rétroviseur central, trois minutes, le rétroviseur extérieur, trois autres minutes, le test des clignotants, des essuie-glaces… trois cent ans plus tard et autant d’araignées logées dans mes cheveux, Niah tourna enfin la clef du contact. Ça y est, on y était, c’était parti ! Enfin pas tout à fait… Le boîtier de vitesses émit un son proche du dernier râle lorsque Niah enclencha la marche arrière et c’est parcouru de soubresauts chaotiques, que nous quittâmes la cour. Secoué comme un prunier, je m’agrippai au siège passager avant, où par rétroviseur interposé, je vis Luel écarquiller ses grands yeux vert émeraude. Au bout de la cour, Niah exécuta un demi-tour pour virer la voiture de bord et passa la première. La deuxième souffrit un peu mais la voiture finit par atteindre les trente kilomètres heure. Au bout du chemin de terre, Niah freina, normal il y avait un stop, puis saisissant une opportunité dans le trafic, embraya et… cala.

—    Rassure-moi, tu l’as ton permis ? Ou c’est papa qui a soudoyé l’instructeur.

—    Fuck Caleb, me répondit l’intéressé.

Il remit la voiture en marche et nous gagnâmes enfin la route, à nos risques et péril. A vrai dire nous roulions si lentement, que nous fûmes à deux doigts de nous faire dépasser par un tracteur. Quant à moi, je préférai me tasser au fond de mon siège et boucler solidement ma ceinture. Je commençai à regretter que Grand-Père Sam ne nous ait pas accompagnés.

Luel s’éclaircit la gorge.

—    Excuse-moi mais c’est quatre-vingts.

—    Et alors ? demanda Niah, totalement étranger au côté sarcastique de la remarque.

—    Alors tu es à soixante.

A oui vraiment ? J’aurais dit quarante.

—    Les limitations de vitesse sont là pour nous indiquer le plafond maximum à ne pas dépasser, répondit Niah. On n’est pas obligé de l’atteindre. Une conduite prudente est une conduite sécuritaire.

—    Entre prudent et trop lent il y a une différence ! s’exclama Luel au bord de la crise de nerfs. Et la différence c’est que là t’es un danger public en forçant les autres automobilistes à nous dépasser !

—    Personne ne leur a demandé de rouler aussi vite, aussi, répliqua Niah, sûr de sa bonne foi.

Personnellement je ne connaissais rien à la circulation routière mais j’étais davantage de l’avis de Luel.

—    Mais c’est quatre-vingt ! s’exclama cette dernière.

—    C’est une limitation, pas un objectif ! renchérit Niah.

S’en suivit un flot continu de syllabes anglaises inintelligibles pour moi, mais que je traduisis par : « t’es qu’un immense crétin qui va tous nous faire tuer !». Mais ne présumons de rien, mon niveau d’anglais se situant en dessous du niveau de la mer. Cependant, il eut été fort étonnant, au vu de l’intonation et du regard assassin qu’elle lui lançait, elle soit en train de lui dire. « Oh pardonne-moi Niah, tu as raison, soyons prudents et si nous prenions plutôt le car postal ? ».

Et pourtant, ce ne fut rien en comparaison de l’allure qu’il nous fit prendre lorsque s’amorcèrent les premiers virages. Par curiosité, je jetai un regard au cadran par-dessus son épaule, l’aiguille cette fois-ci, était belle et bien positionnée sur les quarante. C’était certain, nous allions nous faire tuer. Ma main se crispa un peu plus fort sur ma ceinture de sécurité et j’envisageai même de carrément passer dans le coffre. Pourvu qu’aucun animal sauvage n’ait la stupide idée de traverser la route, parce que sinon, nous étions bons pour nous entretenir avec Saint-Pierre dès ce soir.

Lorsque nous débarquâmes enfin en ville, après plus d’une heure de route, sur un trajet qui aurait dû nous en prendre trente à peine, je fus à deux doigts d’embrasser le sol.



02/02/2015
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