Le Val des Fées - extrait 1
Le lendemain matin à cinq heures tapantes, nous étions tous les trois debout et alignés contre le mur de l’étable, prêts à suivre Pierre-Samuel dans sa tournée des tâches. Tâches qui dans moins de vingt-quatre heures à présent, allaient devenir nôtres. Enfin, quand je dis « prêts », c’était peut-être un peu prétentieux de ma part.
Caleb, en marcel vert militaire et bermudas blanc et noir, dormait littéralement les yeux ouverts. Niah de son côté, en jeans et chemise, dont il avait retroussé les manches, aurait plus eu sa place dans une bibliothèque universitaire, que les deux pieds dans le foin, pour ne pas dire autre chose. Il avait une manière de se tenir si droite et figée, qu’on aurait pu penser qu’il était une jeune recrue de l’armée au moment de l’inspection générale.
Rompez petit soldat.
Quant à moi, dans mon petit short jeans et mon survêt gris à capuche marqué NY en jaune, je n’avais guère chaud. Les deux mains dans les poches, la capuche rabattue sur la tête, plus pour éviter les regards curieux de mes cousins que pour me réchauffer, j’essayai de me faire toute petite dans mon chandail. Ils étaient où les vingt degrés Celsius annoncés ? Une chance que j’avais laissé tomber les lunettes de soleil. A cinq heures du matin de toute façon, ce n’était pas franchement nécessaire.
Pierre-Samuel dut arriver à la même conclusion, sur le fait que nous n’étions pas prêts, parce que sa première tâche fut de nous faire troquer nos baskets pour une paire de bottes en caoutchouc, qui finalement ne s’harmonisa avec aucun de nos styles.
— Bon les enfants, fit Pierre-Samuel en frappant trois coups dans ses mains. Voici l’étable. Neuf vaches, six veaux, deux ch’vaux et un âne. Ou Anette, Angélique, Anis, Badiane, Coriandre, Fenouil, Hysope, Mélisse et Menthe. Gaspard et Théodore et enfin Léon. Les veaux n’ont pas d’noms puisqu’ils sont destinés à la boucherie.
Hé, hé ! Il a donné des noms aux vaches… Ridicule.
La traite de vaches fut attribuée à Caleb, comme le soin de tous les animaux de l’exploitation d’ailleurs. En plus de l’étable, il y avait un clapier, avec une douzaine de lapins. Eux non plus n’avaient pas de noms, signe qu’ils n’allaient pas tarder à finir en civet. Un poulailler avec un coq et trois poules, Ginette, Odette et Blanchette. Elles apparemment, allaient échapper au couperet. Ce qui n’était pas le cas de la dizaine de poulets qui couraient gaiement dans l’enclos d’à côté, complètement étrangers au sort qui les attendait.
Bande d’inconscients !
Dans l’enclos des porcins, nous eûmes l’indescriptible joie de découvrir une truie et ses huit porcelets qui piaillaient comme des beaux diables. Qui parlait du calme de la campagne ?
Pendant que Pierre-Samuel expliquait à Caleb comment s’en occuper et comment nettoyer l’enclos, j’en profitai pour m’asseoir un instant sur la barrière, tandis que Niah prenait appui à côté de moi. Nous observâmes, non sans un certain amusement, Caleb se démener pour attraper l’un des porcelets, à qui il devait mettre des gouttes dans les oreilles.
J’avais du mal à croire que deux jours auparavant, j’étais encore à New York, dans un penthouse tellement rutilant que l’on avait 80% de chance, et cela tous les jours, de se casser une jambe en traversant le marbre de l’entrée et qu'aujourd’hui, je me trouvais ici, les deux pieds dans la gadoue, chaussés de grosses bottes en caoutchouc. Mais ce que j’avais encore plus de mal à croire, c’était que ma mère avec ses escarpins et ses tailleurs à mille et deux mille dollars, ait grandi ici, au milieu des porcs et des vaches. Ca c'était vraiment inconcevable.